La laiterie de Chanly

Nos villages avaient presque tous une laiterie. C’étaient des petits locaux où l’on écrémait et qui étaient régulièrement visités par une laiterie industrielle qui faisait le beurre, les analyses d’usage et les comptes de chacun.Cependant il y avait de petites laiteries plus autonomes. C’était le cas de Chanly où le bâtiment était situé sur le Tombois juste à côté de l’école des garçons.

Sa création

Quelle est l’année de sa création ? La mémoire des Anciens est bien incapable de donner une date exacte. Cependant, vu que cette société était officielle, elle dut avoir ses statuts au Moniteur belge. On peut certainement dire qu’elle existait avant la guerre de 1914. Les premières écrémeuses ont fait leur apparition dans notre région vers 1900. Cette laiterie était gérée par une Société qui comprenait les fermiers  » utilisateurs  » du village. Le président en était (après la première guerre) l’Abbé Lavis curé du village.

Le personnel était essentiellement féminin. Deux femmes se relayaient pour faire des quinzaines. La fabrication du beurre nécessitait deux personnes en même temps. Les femmes avaient donc un horaire assez élastique. En été, on trayait deux fois et elles devaient venir matin (6 h 30) et soir. Quant au beurre, elles le faisaient trois fois par semaine. Emma Sprumont pense qu’elle recevait environ 600 francs par quinzaine pour ce travail. Elles travaillaient en galoches (de la galocherie Jacquemin) car elles étaient souvent les pieds dans l’eau. Les règles d’hygiène étaient strictes et les femmes nettoyaient fréquemment.

Le local, bâti sur la roche, n’était pas bien grand. Au rez-de-chaussée, de plain-pied, on y voyait une pièce unique blanchie où trônait la turbine. Du petit mobilier complétait l’équipement. En dessous, une cave bien fraîche servait notamment à entreposer le beurre et c’était important. L’eau y arrivait par un robinet de la distribution (vers 1930) qui donnait dans un bac. Souvent elle n’était pas assez froide et il est arrivé qu’une tenancière aille chercher de la glace au Séminaire (Val des Seniors actuellement).

La laiterie à l’heure actuelle

 

Écouler la production était assez facile puisque les fermiers en reprenaient déjà une bonne partie. Le reste était vendu à des commerces ou associations des environs. Pendant la guerre ce ne fut pas un grand problème. On avait une paire de chaussures en échange d’une livre de beurre ! Celui-ci était emballé dans un papier spécial avec les coordonnées de la laiterie. Le beurre partait par le tram mais en été cela devenait compliqué. Arthur Philippe puis Emma Sprumont le conduisait à la gare du tram dans une petite charrette à bras.

La traite finie, chacun descendait à la laiterie et c’était déjà une expédition qui plaisait à tous. On faisait chemin ensemble, se racontant les dernières nouvelles. Les gens y venaient avec toutes sortes de véhicules à bras qui ne manquaient pas d’originalité. Albert Gauthier qui habitait à la rue Haie Minée y allait avec une charrette à chien et montait dessus pour gravir les (faibles) raidillons (la loi l’interdisait).

A la laiterie, les gens attendaient leur tour patiemment en papotant. C’était la gazette publique, parfois assez rosse. La grosse turbine, elle, ne chômait pas. Puis c’était le retour vers les occupations agricoles.

Plusieurs jeunes filles et dames du village ont travaillé à cette laiterie. Dans les plus anciennes, on cite Yvonne Arnould, Hélène Sprumont, Albine Philippe, puis Emma Sprumont, Louisa Georges et Simone Jacquemin.

Voici quelques lignes qui vont retracer une certaine ambiance de la vie à cette époque.

Emma Sprumont y est entrée en 1931, elle avait 14 ans et sortait de l’école. Le curé Désiré Lavis faisait les analyses. Le lait était prélevé pour chaque fermier dans des éprouvettes et les règles d’hygiène étaient strictes. C’est lui aussi qui faisait les comptes. Il y avait des dividendes à la fin de l’année. Quand le curé partit en retraite, il  fut remplacé par l’Abbé François et François Herman, époux de Emma Bertrand. A la guerre, le village évacua et la laiterie distribua sa réserve de beurre aux partants.

La laiterie refonctionna quelques temps au retour des villageois, car Emma se souvient qu’en plus des livres et demi-livres de beurre, elle devait faire des rations pour le ravitaillement. Celles-ci étaient plus petites. Vers 1945, on arrêta de faire du beurre. C’était la fin d’une époque. On turbina encore quelques mois mais le beurre était fait par la laiterie voisine de Resteigne qui ramassait les crèmes dans les villages. Le camionneur venait chercher la clé chez Emma Sprumont

Le bâtiment est ensuite resté inoccupé puis il fut racheté par Florent Henrot  (fils de Théophile, forgeron et secrétaire communale). Celui-ci cultivait également  et il en fit une remise.

A nouveau vendu, il est devenu maintenant une petite habitation privée.

Ceux qui ont connu cette époque, gardent en mémoire la petite laiterie du village. C’était un lieu de prédilection pour se rencontrer. C’était surtout un point de convivialité où l’on sentait battre le cœur du village.

Mes renseignements viennent exclusivement de la mémoire orale. Mesdames Emma Sprumont (° 1917) et Eva Jacquemin (° 1920) sont les sources remarquables de cette tranche de vie. Qu’elles en soient remerciées.

 

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